Il s’agit de ces passages qui, pour les plus emblématiques, ont été construits, pour la plupart entre 1830 et 1870. Leur conception a été tout spécialement étudiée pour que les personnes du beau sexe puissent effectuer leurs emplettes à l’abri des intempéries. 

Nous débouchions dans la rue Grange-Batelière. Le soleil, encore bas en cette saison, nous aveuglait littéralement. C’est un œil à peine entrouvert que nous franchissâmes le seuil du passage suivant.

L’éblouissement fit place à un trou noir qui se dissipa progressivement au fur et à mesure de l’accoutumance de nos rétines à la lumière ambiante.

– Que se passe-t-il ? S’exclama mon amie.

Nous nous regardâmes, ébahis. Rêvions-nous ?

En un instant, nous nous retrouvions, par quel sortilège, en plein dix-neuvième siècle.

Avec nos vêtements d’aujourd’hui, de quoi avions-nous l’air ?

Malgré tout, maitrisant nos inquiétudes et finalement séduits par cette étrange situation à laquelle nous étions confrontés, nous avançâmes.

Les badauds ne semblaient pas nous remarquer. Etions-nous donc devenus invisibles ? Peu importe ! Notre curiosité l’emporta sur toutes autres considérations. Nous progressâmes, adoptant le pas nonchalant des promeneurs.

La verrière légèrement teintée à l’armature en ogive métallique laissait filtrer une lumière naturelle qui inondait le passage d’une douce clarté. Elle se reflétait dans le dallage qui tantôt illuminait les pavés de marbre blancs, tantôt les pavés de marbre gris clair ou foncés.

Au niveau du premier étage, et à intervalles réguliers, des candélabres à gaz scellés aux murs par des entrelacs de fer forgé rappelaient le mode d’éclairage à la mauvaise saison.

De l’autre extrémité du passage, un garçonnet s’élançait, entraînant avec lui un cerceau. Attifé d’un costume de marin froissé, la chevelure rouquine ébouriffée et l’œil malicieux, il prenait déjà des allures de futur « apache ».

Sur notre gauche, tétanisée devant la vitrine d’une vieille boutique de frivolités aux boiseries vernissées, une femme, la trentaine, admirait une splendide robe exposée sur un mannequin. Elle était vêtue d’un corsage fleuri tombant droit sur les épaules, aux manches courtes, froncées et bouffantes. Une jupe longue et large de toile légère   complétait sa toilette.

D’une main, elle tenait un enfant accoutré comme un lord anglais, un véritable petit monsieur. Son visage poupon, qu’encadrait une chevelure châtain bouclée, observait  avec envie le pousseur de cerceau. 

Un peu plus loin, sur la droite, une vitrine vantait les mérites de la « réclame » et proposait la réalisation de tracts.

Un couple nous croisa et nous salua discrètement. Nous n’étions donc pas devenus transparents mais leur regard inquisiteur en disait long sur leurs sentiments à notre égard.

Encore quelques pas et nous nous arrêtâmes un instant devant la devanture « belle époque » d’un philatéliste. Au centre trônait une mappemonde.

La géographie des pays et leurs appellations y étaient bien différentes de ce qu’elles sont de nos jours. Des timbres épars ici et là étaient plus anciens encore. A côté, l’étalage d’un bouquiniste présentait de vieux documents enluminés qui voisinaient avec des volumes d’auteurs célèbres ou méconnus.

Plus loin, un autre couple, en arrêt devant un éventaire, attira notre attention.

La femme, la soixantaine sémillante, était coiffée d’une capeline ornée de rubans multicolores.

Une jaquette et une jupe longue de coton bleue  d’où émergeait un corsage froncé assorti mettaient en valeur son teint pâle et ses yeux verts étincelants de pureté. Des bottines vernies à hauts talons affinaient encore sa silhouette.

A ses côtés, un homme légèrement plus âgé tenait dans une main une canne à pommeau ainsi qu’un haut-de-forme. Cheveu rare grisonnant et regard empreint de douceur, il est vêtu d’une veste uni sombre, d’un pantalon collant rayé tombant droit sur des chaussures sous lesquelles il est retenu par des sous-pieds. Une chemise blanche fermée par une cravate large de même teinte que recouvre partiellement un gilet court complètent sa tenue. La chaîne d’une montre à gousset déborde de sa poche et va s’accrocher à une boutonnière.

Nous nous approchâmes  silencieusement, désireux de connaître l’objet de leur intérêt sans, pour autant, les déranger.

Avec des gestes délicats, la femme venait d’ôter un de ses longs gants de soie pour se saisir d’un paquet de vieilles cartes postales.

A ce moment, une légère brise traversa le passage. Sa capeline faillit s’envoler. Elle la remit en place. Ces quelques secondes suffirent pour découvrir ses cheveux blonds  coupés très courts. Le fait mérite d’être rapporté, la bienséance en ce temps autorisant plutôt les chignons ou les tresses. Elle était vivement intéressée par lesdites cartes qu’elle montrait à son compagnon qui opinait de la tête à chacune de ses remarques. Finalement, elle en choisit une ou deux dont l’homme s’empara. Lorsqu’il la poussa, la porte de l’échoppe gémit et son grelot tinta.

Nous reprîmes  notre visite. Une dizaine de pas nous séparait  maintenant de la sortie.

Nous descendîmes les quelques degrés qui menaient à proximité de la rue.

Je choisis ce moment pour sortir d’une des poches intérieures de ma veste, une enveloppe et la remit à ma compagne :

– Tenez, mon amie. J’allais oublier de vous les offrir. Ce sont les cartes postales, souvenir de votre enfance, que je suis allé négocier pour vous chez ce mercantile.

Elle me remercia et, souriante, se retourna vers la boutique en question. Je l’imitai. Nous restâmes sans voix.

Le passage était désert.

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