Pressons-nous ! Nous allons être en retard pour la visite !

Mes gestes pleins d’attentions pour l’amie qui m’accompagne démentent mes propos teintés d’autoritarisme. Nous étions sur le quai du métro et donc, à proximité, du lieu de notre rendez-vous.

Aujourd’hui, nous devons retrouver un petit groupe de passionnés, comme nous, d’architecture, d’art  et d’histoire pour suivre une visite guidée de l’Opéra de Paris.

Il ne nous reste qu’une volée de marches à franchir pour nous retrouver sur le terre-plein devant le  monument.

En ce début d’après-midi, le soleil inonde la place d’une chaleur bienfaisante. D’abord aveuglés, nous clignons des yeux puis progressivement, l’Académie de Musique dévoile sa majestueuse architecture . La façade est ornée de statues et de motifs décoratifs, œuvres des tailleurs de pierre. Tous les autres bâtiments qui clôturent la place s’effacent littéralement devant ce bijou.

-Voici donc ce chef d’œuvre, mélange de style baroque à l’italienne et de néo-renaissance à la française , s’exclame mon amie en ajustant son élégante paire de lunettes pour protéger son si joli regard vert émeraude.

Moi, j’enfonce un peu plus ma casquette à longue visière et ajoute:

-Oui. Une belle pièce montée comme certains le surnomme. . Il faut faire le tour. L’entrée des « artistes » se trouve du côté rue Scribe.

-Allons-y, me confirme mon amie en me bloquant le bras sous le sien.

En cours de chemin, nous nous attardons un peu pour apprécier à chaque pas les détails de cette construction complexe dont le sommet se termine en un dôme néo-byzantin de cuivre qui révèle l’emplacement de la grande salle des spectacles.

Chacun de nos pas nous révèle une facette à la fois identique et à la fois différente de la précédente en raison de sa situation spatiale. Tout cela suggère que le monument exécute un mouvement rotatif.

-Ah ! c’est  ici ! Entrons ! Propose mon amie en songeant à la belle visite que nous allons suivre.

-Non ! Je l’arrête et la retiens par la main. Le rendez-vous est à l’extérieur.

Après un coup d’œil alentours, elle me rétorque en souriant :

-Je ne vois personne ici. De plus, l’heure est légèrement passée. Ils ont dû rentrer…

Je boude un peu pour la forme :

-Ils auraient pu nous attendre ! Ce n’est pas sympa …

Sans se départir de son sourire, elle argumente :

-L’heure, c’est l’heure ! Ils n’avaient pas à nous attendre ! La conférencière ? Elle ? Elle a certainement d’autres groupes après nous …

-Soit ! Je conviens.

A l’intérieur, pas de groupe non plus. Mon amie s’adresse à l’hôtesse d’accueil. Elle demande , inquiète :

-Nous faisons partie d’un groupe mais ils ne sont pas là et c’est l’heure …

-Ils sont passés, il y a quelques minutes. On lui répond.

-On peut les rattraper ? Demande-t-elle .

-Je vous laisse passer. Allez-y !

-allez, Jacques ! En route. Elle me dit en m’entrainant par la main.

J’arrive à suivre parce que, bien qu’elle marche vite, j’arrive à maintenir le rythme car j’ai une plus longue enjambée qu’elle.

Ah ! Un croisement au bout du couloir.

-Elle m’a dit d’aller à droite, me précise mon amie en changeant ses lunette fumées pour une paire de verres clairs.

-Non ! Je la contrarie. J’ai entendu à gauche. Qu’est-ce-qu’on fait ?

Je suggère de le jouer à pile ou face.

Mon amie sourit de plus belle et propose une solution moins aventureuse.

-tu restes là ! Moi, je retourne à l’entrée et je redemande …

Après quelques secondes d’hésitation, la décision est prise. A cet instant, un personnage, sorti d’on ne sait où, s’avance vers nous et nous interpelle.

-Bonjour ! Vous voulez visiter mon Opéra ? Alors, suivez-moi ! 

Nous restons bouche bée. Nos regards croisés illustre notre étonnement.

-Qui est-ce ?

L’hommme est de taille moyenne, les tempes grisonnantes et une petite barbe taillée en pointe accentue les traits d’un visage légèrement anguleux. Jusque là, il ‘ny a rien à dire de particulier. C’est son accoutrement complètement hors du temps qui surprend.

Il est habillé d’un vêtement de cérémonie sombre à longue basque en pointe. Celui-ci  recouvre partiellement un gilet écarlate sous lequel on devine une chemise immaculée à col dur fermé par un nœud papillon blanc. Le bas tu pantalon rayé casse sur des chaussures vernies noires.

Il se présente. Pour cela, il ôte sont haut-de-forme qu’il tient entre le pouce et lindex de sa main droite. L’autre, gantée, joue élégamment avec le pommeau doré d’une canne.

-Puis-je vous demander qui vous êtes ? J’ose.

Notre mystérieux interlocuteur ne répond pas et poursuit :

-Suivez-moi ! Je suis tellement ravi de vous rencontrer.

Mon amie me souffle à l’oreille :

-Un fou certainement ! Ne le contrarions pas !

-Tu as raison. Cependant, que fait-il ici ? Je lui susurre en retour. Après tout, s’il nous fait visiter l’Opéra …

-Il faut que je vous dise que ce chantier n’est pas arrivé comme cela! Dit-il en faisant claquer ses doigts. Je l’ai bien mérité. On va vous dire que je connaissais Napoléon III. Certes pas ! Il n’a fait qu’organiser un concours et c’est mon projet qui a été retenu. Parmi les concurrents, il y avait des architectes bien plus en cour que moi. Ne serait-ce que ce Viollet-le-Duc. Il voulait tout faire, celui-là ! Notre-dame et Pierrefonds ne lui suffisaient pas …

-C’est vrai ce qu’il raconte ? Me chuchote mon amie dont la ccuriosité est attisée par les propos de l’inconnu.

-S’il le prétend ?!Faudra vérifier !

-Ne se prend-t-il pas pour  

-Chut ! Ecoutes ce qu’il dit !

Nous passons ainsi de coursives en couloirs. Hormis des commentaires tenant à la décoration, aux ors et autres stucs des endroits où nous passons, notre guide nous parle également de lui :

-Il était parfaitement judicieux de me confier ce chantier.  Viollet-le-Duc n’était bon qu’à rafistoler du « Moyen-âge », pas à créer un style nouveau comme moi. Il faut savoir qu’avant d’entreprendre la construction de l’Opéra, j’avais effectué un voyage d’études de 5 ans en Italie et en Grèce. Alors ! Vous pensez ! Au retour, j’étais incollable sur l’architecture antique, classique et même baroque. …

Je me permets de l’interrompre :

-D’où ce mélange de style?

-Exactement ! J’ai créé un style nouveau. Le style Napoléon III. Quand je pense à l’impératrice…  Elle n’a rien compris. Peu importe ! Elle ne m’aimait pas et n’a donc pas aimé mon projet !

Tout en écoutant attentivement notre mystérieux guide, nous admirons au passage les très belles mosaïques sur lesquelles nous marchons.

-Tu penses aux millions de personnes qui les ont piétinées ! Commente mon amie.

J’acquiesce d’un geste de la tête pour ne pas importuner notre homme à la canne qui nous fait monter le magnifique escalier en marbre sans oublier au passage de nous faire admirer les splendides caryatides qui en sont le principales ornement. Un peu plus loin, nous franchissons  le seuil de la grande galerie.

Il nous enjoint de le suivre jusqu’à une magnifique cheminée sur laquelle il pose son haut-de-forme. Ensuite, il brasse l’espace d’un geste théâtral du bras et s’émerveille.

-Admirez ! Cette galerie n’est-elle pas aussi splendide que la galerie des glaces de Versailles ?

Nous devons reconnaître qu’elle supporte la comparaison en tous points.

-Suivez-moi ! Vous n’avez pas encore vu le plus beau.

Bras dessus, bras dessous, nous le suivons tout en nous interrogeant de plus en plus sur son identité.

Il pousse une grande porte et s’efface pour nous laisser passer les premiers. Nous nous trouvons sur un balcon de la grande et magnifique salle des spectacles.

-Chut ! nous fait-il en se barrant les lèvres de son index . Ecoutez !

Personne sur la scène. Personne non plus dans la salle.

Pourtant une voix de soprano résonne à laquelle répond un ténor.

De l’orchestre et du balcon, les applaudissements fusent.

Hébétés, nous nous regardons. L’inquiétude nous gagne un peu. Mon amie se réfugie plus près de moi. Je lui entoure les épaules d’un bras protecteur.

-Où sommes-nous ? Je l’interroge sans obtenir de réponse.

L’homme à la queue-de-pie ne semble pas se rendre compte de notre trouble. Il continue à dérouler ses commentaires.

-Ce que vous voyez là, précise-t-il, en désignant le plafond, n’est pas la fresque originale. Celle-ci avait été réalisés par Jules-Eugène Lenepveu. Classique, elle se fondait parfaitement dans ce temple de l’art lyrique .

Nous n’avons jamais vu cette fresque et restons sans mot dire. Un simple hochement de tête de notre part est traduit par notre guide comme une supposée approbation de ses dires. Un large sourire épanouit son visage. il reprend :

-Il a fallu que, dans les années 1960, elle ne plaise pas à monsieur André Malraux, ministe de la culture de l’époque, pour qu’elle disparaisse. Encore une affaire de copinage ! Il a décidé de la recouvrir d’une autre « peinture » de Marc Chagall. Un de ses amis. Vous trouvez cela bien ?

-Heu, heu ! . Nous avons répondu en chœur préférant ne délivrer qu’un avis incertain sur la question.

Le mystérieux bonhomme n’insiste pas davantage, convaincu que son avis seul compte. Accompagné d’un geste de la main, il murmure :

-Sortons car nous risquons de gêner les artistes !

Nous nous retrouvons dans le promenoir.

Bah, alors !… Où étiez-vous ? On vous cherche partout !

A quelques pas devant nous, Annie, la responsable du groupe, les sourcils en accent circonflexe, vient à notre rencontre à pas rapide:

Mon amie, toujours souriante, explique :

-Nous n’étions pas perdus ! Nous avons fait la visite avec ce monsieur. Monsieur … comment déjà ? …

Nous nous retournons tous les deux. Notre mystérieux guide a disparu. Nous balbutions des explications  qui …

-C’est cela ! Conclut Annie. Encore un peu et vous allez me dire que vous avez rencontré Charles Garnier !

Mon amie recherche ma main. Je lui emprisonne la sienne et la pgarde précieusement. Nous nous regardons. Nous nous sourions. Nous ne disons mot. La même pensée trottine dans notre tête. Et si c’était vrai !

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