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Dans les couloirs de l’hôpital, la canne blanche d’Anne-Sophie Centis frôle à peine le sol. Cette kinésithérapeute aveugle se déplace sans effort dans le dédale de chambres de réanimation dont elle a appris par cœur le moindre recoin en trois années de pratique.
Kinésithérapeute depuis treize ans en milieu hospitalier, Anne-Sophie ne s’est jamais vue travailler ailleurs. « Les domaines médical et paramédical ont toujours été des domaines qui me passionnaient. Quand j’ai appris qu’on pouvait être kinésithérapeute en voyant mal ou en ne voyant pas ça m’a paru être une évidence. »
Pourtant, l’hôpital n’a pas toujours été un endroit heureux pour Anne-Sophie qui y a passé une bonne partie de son enfance et de son adolescence en tant que patiente et subi plus de trente opérations pour tenter de soigner son glaucome et sa cataracte.
C’est à la suite d’une de ces opérations que la jeune femme jusqu’ici malvoyante se retrouve plongée dans le noir à l’âge de 20 ans. Un choc qu’elle mettra plusieurs mois à digérer et qui l’obligera à arrêter momentanément ses études commencées au Centre de Formation et de Rééducation Professionnelle (CFRP) de l’association Valentin Haüy. « Il y a eu deux, trois mois très difficiles, où la moindre chose du quotidien était compliquée.
Et puis il y a un moment où tu te dis : sois tu remontes tes manches et tu avances, soit tu continues à te morfondre. » La jeune femme choisit d’aller de l’avant, prend des cours en locomotion , en informatique adaptée et en braille puis retrouve les bancs du CFRP de l’association Valentin Haüy pour y décrocher son diplôme de kinésithérapeute.
« La plupart des kinés déficients visuels ont une activité libérale, plus simple car ils reçoivent dans leurs murs, les gens viennent à eux, ils n’ont pas à se déplacer … Les hôpitaux n’ont donc pas du tout l’habitude de recevoir des kinésithérapeutes salariés non-voyants »
Sur le CHR de Lille, elle est d’ailleurs la seule kiné non-voyante : « j’ai dû déployer énormément d’énergie à enfoncer des portes qui étaient fermées déjà pour mon embauche et encore plus à mon arrivée. Ça reste une vraie bagarre et il faut vraiment faire preuve de beaucoup de volonté. »
Aujourd’hui parfaitement intégrée et admirée de ses collègues, Anne-Sophie sait néanmoins qu’elle n’a pas le droit à l’erreur et se donne toujours à 100 % : « Je suis consciente que je dois faire 1000 fois plus d’effort s que quelqu’un de valide pour me faire accepter (…) car s’il se passe quelque chose avec un enfant, on le rapportera tout de suite au fait que je ne vois pas. »
Au quotidien aussi, Anne-Sophie doit relever de nombreux défis : « Moi j’essaie d’allier toutes mes vies comme une femme valide à savoir ma vie professionnelle qui est hyper importante, ma vie d’épouse très importante aussi et également ma vie de maman parce que j’ai deux petits garçons. Ça c’est aussi un grand défi du quotidien de devenir maman quand on ne voit pas. On rencontre les mêmes difficultés qu’au travail, il faut rassurer le personnel de crèche, les maîtresses, les mamans des copains (…) Mais j’ai une philosophie de vie qui fait que je m’attarde moins sur les détails, je relativise beaucoup, j’essaie de prendre le meilleur partout et de faire en sorte de profiter au maximum de ma vie avec mes enfants et avec mon mari. »
Toujours prête à se depasser, elle a décidé de reprendre ses études pour devenir à son tour formatrice en kinésithérapie, et un jour pouvoir enseigner là où tout à commencer, au CFRP de l'association Valentin Haüy.