14 mars 2025 - Le surtourisme
Jean-Michel Dulin est venu le 14 mars 2025 présenter sa vision sur ce qu'il appelle "Le surtourisme". Son passé au sein de Michelin éditant le fameux Guide Vert lui permet d'expliquer ce phénomène.
Publié le 8 avr. 2025

Le surtourisme
Il apparaît sur ce thème comme sur beaucoup d’autres, que le temps passe si vite que nous n’avons pas toujours le temps, la possibilité ou l’envie d’analyser la manière dont les choses évoluent. Oui, le tourisme a changé, il continue de changer, sous nos yeux, au point de poser à nos sociétés de gros problèmes directs ou indirects.
Difficulté supplémentaire, le mot tourisme est devenu tellement banal que l’on ne sait plus très bien ce qu’il représente. Tout le monde fait du tourisme. Beaucoup de monde vit du tourisme.
Nos ancêtres faisaient du tourisme. Certes, cette activité n’intéressait aux siècles passés que les gens aisés. Montaigne, Madame de Sévigné, le Président de Brosses puis Arthur Young, Chateaubriand, Lamartine, Lord Byron ont, si l’on peut dire, fait du tourisme. Le mot vient de l’anglais « tourist » dérivé lui-même du français tour. Il est synonyme de voyage.
On peut admettre que l’ancêtre des guides touristiques serait un livre de Charles Estienne : « Du Voïage en France dressé pour la commodité des Etrangers ». Nous avons approché la naissance et la vie des Guides touristiques. Les guides et non pas les récits de voyages ont quasiment toujours existé.
Au XXIe siècle, en 2025, cette notion de tourisme se développe et on parle aujourd’hui, dans certains cas, de surtourisme ou de tourisme de masse. Cette évolution se passe sous nos yeux et elle nous semble tellement normale que l’on pense à peine à analyser les raisons de cette évolution aux conséquences importantes pour notre environnement et la sauvegarde des patrimoines architecturaux et naturels.
Les mots de tourisme puis surtourisme ne caractérisent pas des phénomènes banals. Jadis, la puissance d’un pays se mesurait à sa capacité à produire de l’acier, à la force de ses industries textiles puis métallurgiques.
Aujourd’hui, le tourisme dont on parle, rapporte plus que l’industrie de l’aéronautique. L’ennui est que cette industrie du tourisme va de la location de pédalos à la gestion des Palaces, des Parcs de Loisirs ou des Musées. Il est donc difficile d’en évaluer, spontanément, la véritable force.
Ce qui est valable pour la France l’est pour de nombreux autres pays pour ne pas dire tous. En Grèce, par exemple, le tourisme, premier employeur du pays, représente 25% du PIB.
A la fin de cet exposé il nous incombera de dire si le surtourisme est une chance ou un problème, chez nous en France mais aussi pour tous les pays du monde.
I- De quoi parle-t-on exactement ?
1/ Les dictionnaires
Face à un mot nouveau, le premier réflexe est de consulter son dictionnaire préféré. Inutile d’ouvrir le Littré. Il date du XIXe siècle. C’est un peu loin.
Le Nouveau Larousse Universel date de 1949. Le mot Tourisme désigne l’action de voyager pour son agrément.
A côté on trouve la définition de : Tourisme (Office national du) : créé par loi du 8 avril 1910, réorganisé par la loi du 24 septembre 1919, cet Office a pour mission de rechercher tous les moyens propres à développer le tourisme.
Plus près de nous, examinons les éditions 1979 et 2020 des dictionnaires Robert. Ni l’une ni l’autre ne parle de surtourisme.
Pour l’anecdote, signalons que l’édition 2020 du Robert parle de surmatelas. L’édition 2020 du Petit Larousse illustré n’évoque pas plus que ses collègues le surtourisme. Il en va de même pour l’édition 2025, en vente à l’été 2024.
Pour la petite histoire notons que Le Dictionnaire du mauvais français, publié en janvier 2024, propose une entrée intitulée : Sur, l’auteur, Hélène Gressard, nous précise que ce préfixe signifie au-dessus ou indique l’excès. L’auteur illustre son propos en s’appuyant sur l’exemple de l’industrie automobile. Il est donc malvenu pour un constructeur automobile de faire la publicité d’une voiture en disant qu’elle est « suréquipée », ce qui laisserait entendre qu’elle est trop équipée, qu’elle a des équipements inutiles.
Rédigé de nos jours, ce dictionnaire aurait peut-être mentionné le surtourisme.
2/ les chiffres
En France, le tourisme représente 2 millions d’emplois et 7,5 % du PIB. La moitié des emplois en question est concentrée sur l’Île de France, Auvergne-Rhône Alpes et Provence-Alpes-Côte-d’Azur.
Cependant, pour comprendre les raisons du surtourisme encore faut-il regarder en arrière et mesurer l’évolution des gens face au travail.
La journée de travail est de 13,2 heures en 1848, 10 heures en 1912, 8 heures en 1919 et 7 heures de nos jours.
Le repos hebdomadaire n’est généralisé qu’en 1906.
Les fameux congés payés
En France, ils ne concernent que 50 000 ouvriers en 1930. La loi du 20 juin 1936 généralise les congés payés.
En 1938, 6 à 8 millions de Français accèdent au tourisme. Ils sont 37,7 millions aujourd’hui. Parmi ceux-ci, un grand nombre pourraient être comptabilisé sous la rubrique « acteurs du surtourisme ».
Prenons l’exemple de la Grèce : en 2019, 31,3 millions de touristes sont venus en Grèce continentale ou les îles. En Grèce, un actif sur cinq, vit du tourisme.
3/ Les médias
A défaut d’éplucher les dernières éditions de nos dictionnaires ou de faire parler les chiffres en notre possession, il nous suffit de lire attentivement les divers médias à notre disposition pour avoir une idée très précise de l’importance du tourisme et plus spécialement du surtourisme.
Pas un jour sans que les chaînes de télévision, les radios, les journaux, les mensuels spécialisés dans le tourisme mais aussi les réseaux sociaux n’évoquent les points d’intérêt à visiter en excitant la curiosité des éventuels touristes de demain. Reportages ciblés sur une curiosité, de films plus longs sur une ville, une région ou un château, un musée…Les exemples nous viennent spontanément à la mémoire.
Les mêmes médias diffusent d’abondantes publicités pour vanter le faible coût de voyages parfois à l’autre bout du monde !
Nous sommes ainsi faits, en ce premier quart du XXIe siècle que nos cerveaux sont perméables à tous les messages publicitaires. Les gestionnaires de sites touristiques le savent et nous alimentent, si l’on peut dire, des plus belles images propres à nous persuader qu’une prochaine visite sur le site en question est obligatoire !
II.- Mais…pourquoi ce désir de voyager ?
1/ La notion de vacances
Mes arrière-grands-parents ne faisaient pas de tourisme. Leurs revenus ne permettaient pas ces escapades, les moyens de transports à leur disposition ne permettaient pas plus, d’envisager de tels déplacements. Après leurs dures journées de travail ils ressentaient le même besoin que nous de « penser à autre chose ». Ils participaient alors à de riches repas en famille ou entre amis du même village. Ces agapes qui n’en finissaient plus permettaient d’échanger, de rire, de chanter…bref d’oublier les difficultés de la vie.
En un siècle, le travail a changé. Qui plus est, il continue de changer. Nous venons de le rappeler, la journée de travail qui était supérieure à 13 heures en 1848 a été ramenée à 7 heures de nos jours.
Sans remonter au XIXe siècle, souvenons-nous qu’il y a seulement une quarantaine d’années, nos parents pouvaient profiter de 3 ou 4 semaines de congés « payés ». Ces congés après une année de travail étaient attendus car, à l’époque, on était fatigué : travail à la chaîne, absence d’outils informatiques, pointage en début et fin de journée, transports pour les grandes villes…
L’heure des congés arrivée, on prenait son temps. Les vacances étaient préparées depuis le tout début de l’année. Où irait-on ? Dans la famille ? Une location ? Au camping ? Quelle province ou pays étranger allait-on découvrir ?
Pour se reposer on avait envie de changer le rythme de vie, on souhaitait découvrir des horizons nouveaux. Une expression était employée : Cette année j’ai fait la Bretagne, les Grands Lacs de l’Italie du Nord, la Corse...
Et puis sans que nous n’y prenions garde, dans la seconde partie du XXe siècle, la fatigue a cédé le pas au stress.
2/ La nature du travail a changé. Que s’est-il passé ?
A l’usine, l’homme fort était l’ingénieur. Il dirigeait. Il était techniquement très au fait mais avait, très souvent, une faible idée de la rentabilité. Dans le secteur de l’automobile, certains se souviendront de cette belle et fiable voiture Renault : la Frégate. Échec. Prix de revient trop élevé. Le modèle est très vite abandonné. Dans le monde de l’aéronautique, chacun se souvient du formidable succès de la Caravelle. Échec. Prix de revient, ici aussi, trop élevé.
Afin de pallier cet inconvénient, l’ingénieur directeur d’usine s’est vu doublé d’une équipe de T.O.I. (Technicien Organisateur Industriel). Ce technicien, que l’on croyait sorti des Temps Modernes avait pour mission, chronomètre en mains, de réorganiser le travail des ouvriers à la chaîne. Taylor entrait à l’usine. Très vite impopulaire le T.O.I. fut doublé par le gestionnaire qui, en quelques années, devint l’adjoint direct du directeur.
Enfin et ce sont les temps que nous vivons, le financier coiffa tout ce beau monde désormais relégué au second plan. Un détail mérite d’être mis en avant : désormais, le financier n’est plus basé sur les lieux de travail, à l’usine. Ses bureaux sont au siège de l’entreprise… souvent fort éloigné du lieu de production.
Prenons maintenant l’exemple du travail de la terre. L’agriculteur dans sa ferme vivait à son rythme ou au rythme de la nature. Il avait bien quelques rendez-vous fixés à l’avance comme avec ses acheteurs lors des foires locales, les bouchers locaux, les maquignons, les épiciers ;
Dans le domaine de l’agriculture les choses évoluèrent très vite car souvenons-nous d’un fait qui s’est déroulé sous nos yeux sans que nous ne nous en rendions véritablement compte : la France au milieu du XXe siècle a vu sa population passer de 40 à 60 millions d’habitants. Baby Boom, rapatriés d’Algérie…Aujourd’hui encore, les barres d’immeubles oh combien esthétiques des banlieues des grandes villes, nous rappellent cet épisode de notre histoire récente.
Alors oui, l’agriculteur, l’éleveur, le maraîcher ont, du jour au lendemain, dû négocier avec des coopératives, des grandes surfaces commerciales, des grossistes…des banques. Dans le même temps il fallut se familiariser avec des montagnes de documents administratifs.
Continuons avec le monde des administratifs, des bureaux. Du jour au lendemain, les notions de rendement, de productivité…mots que l’on croyait réservés au monde industriel se sont retrouvés au centre des préoccupations des employés de bureaux. L’ordinateur s’est imposé. Le salaire et les primes qui l’accompagnent étaient directement liés à la souplesse de l’employé vis-à-vis de son nouvel outil de travail.
Le monde de l’encadrement est touché de la même manière. Réunions incessantes souvent à des heures indues. Dossiers que l’on emmène chez soi. Alerte permanente pour remettre en cause les consignes, les manières de faire souvent très anciennes. Penser entreprise et plus seulement à la petite « boîte » qui vous avait embauché… La mondialisation était en marche.
Une autre tendance est aujourd’hui largement partagée. C’est la conviction qu’en changeant d’entreprise on progressera plus vite dans l’accès aux responsabilités. Nouveau patron, nouveaux objectifs, nouvelles manières de faire. Ces changements sont source de stress, qu’il faudra combattre.
Bref, dans toutes ces filières, le travail ne génère plus uniquement de la fatigue mais du stress, de l’énervement, de la lassitude. Un des remèdes contre le stress, outre les médicaments, est la rupture, même courte, avec l’environnement du travail, avec la hiérarchie toujours plus exigeante.
Les congés annuels ne suffisent plus. Dans tous les cas, ils ne sont plus adaptés. Le besoin de s’instruire durant ses congés n’a plus la même importance puisque les portables ont réponse à tout. Ils sont devenus les indispensables de chaque travailleur. Dès lors, de brèves escapades se sont révélées plus utiles, plus profitables que les trois semaines de congés d’affilée. On morcelle désormais ses congés, à la recherche de dépaysements, d’originalité dans les hébergements, de distractions tout simplement.
En résumé, ce dont les travailleurs ne veulent plus c’est la fameuse formule « métro boulot-dodo ». Au point, et le phénomène s’amplifie ces dernières années, de vouloir travailler chez soi, pour le bien de la planète dit-on. L’ordinateur est alors le seul trait d’union entre l’employé et son entreprise. Plus de contact journalier avec les collègues.
Plus d’échanges. Les années à venir nous diront si ce mode de travail n’est pas aussi, en définitive, une nouvelle source de stress, et même, de grand stress.
Ce qui se passe en France se développe de la même manière dans la plupart des pays du monde. Oui, la démographie est un enjeu majeur des années à venir. La population mondiale s’envole…Elle est galopante. D’ores et déjà l’Asie représente environ 60% de la population mondiale. En Afrique, la population citadine double tous les 20 ans. Ces populations comme en Europe rêvent de tourisme pour combattre le stress qui les touche, comme chez nous.
3/ Réactivité du monde du tourisme
Face au phénomène que nous venons de décrire, le monde du tourisme sut réagir de manière rapide et variée, aidé par une demande croissante et un pouvoir d’achat lui aussi et quoiqu’on en dise, en progression.
Des investissements considérables se firent dans le domaine de l’hébergement. Hébergement traditionnel (hôtels, villas, campings,et surtout campings avec animations) mais aussi chalets en montagne, ports de plaisance le long des rivières navigables, pourquoi pas huttes perchées dans les arbres, hôtels troglodytiques…
En matière de transports, de l’avion au train en passant par son véhicule personnel, sa caravane, son camping car, son vélo,des offres tout à fait alléchantes firent leur apparition dans le même temps.
Surtout, les investissements ne touchent plus seulement le patrimoine architectural mais aussi tout ce qui touche la nature.
Le public stressé ne s’intéresse plus seulement aux châteaux, églises, abbayes, musées…il souhaite s’immerger dans la nature : sentiers de Grande Randonnée, parcs animaliers, parcs de loisirs, trains touristiques, facilités pour exercer son sport favori, canoë kayak, alpinisme, plongée sous-marine, ski, vélo, etc.
Le mot « vacances » ne signifie plus : moment privilégié pour s’instruire en visitant. Le portable est là. On ne redira jamais assez le profit que l’on tire de la lecture du livre de l’économiste Daniel Cohen : Il faut dire que les temps ont changé…
L’iPhone, écrit Daniel Cohen est devenu un nouvel organe du corps humain. Et, soyons réalistes, l’Intelligence Artificielle arrive !
Aujourd’hui si l’on a besoin d’une précision concernant un fait historique, géographique, artistique ou autre…il suffit de consulter son iPhone, les réseaux sociaux…ils ont réponse à tout. Durant ses congés, inutile de vouloir s’instruire. Il faut se distraire, oublier le stress du travail.
Dans cette optique, certains sites sont visités plus que d’autres. Certains sites sont même outrageusement visités au point de ressembler à « la gare St Lazare aux heures de pointe».
Ce comportement ne va pas sans conséquences sur le patrimoine et les habitants des lieux en question.
III.- Un mot de ce patrimoine touristique
Penons nos exemples dans le Mâconnais.
1/ Ce patrimoine est parfois privé.
Il est fermé au public ou ouvert aux visites. Le château de Berzé-le-Châtel (visite des extérieurs et vente de vins), la Chapelle des Moines (fresques du XIIe siècle) et les Fours à chaux à Berzé-la-Ville.
St-Point et Milly pour l’évocation de Lamartine sont de bons exemples. Les visiteurs sont en nombre « raisonnable » dans ces sites.
2/ Ce patrimoine est parfois « classé »
Le classement intervient chaque fois que la curiosité en question se distingue par son originalité, sa rareté. Les Monuments Historiques en France, l’Unesco pour le monde sont les principaux organismes qui « classent » les monuments ou autres curiosités naturelles.
A l’échelon local, trois sites revêtent une importance nationale : Solutré, Cluny et Tournus. Trois sites ont une importance régionale : Cormatin, Chapaize, Brancion.
3/ Le patrimoine naturel
Contrairement à ce que nous aurions pu écrire il y a quelques années, ce patrimoine naturel acquiert une importance de plus en plus grande de nos jours. Toujours en Mâconnais, ce sont les sites de la Roche de Solutré, les Grottes d’Azé, Blanot, des forêts, la Voie Verte, la Butte de Suin…
Surtout et après les investissements indispensables, Touroparc et le Hameau Duboeuf attirent un nombre assez considérable de visiteurs. Animaux, petits trains, manèges… ils attirent enfants et grandes personnes.
En aucun cas ils ne peuvent être blâmés pour être à l’origine d’un surtourisme.
IV.- Le surtourisme et ses conséquences
1/ Des exemples
Quelques exemples précis donneront un sens à ce qui précède. Nous les avons choisis de manière à ce que chaque secteur de l’économie touristique soit représenté. Voyons d’abord quelques exemples en France et à Paris pour commencer. Nous sommes au Louvre : 9 millions de visiteurs par an. Des études statistiques montrent que 80% de ces visiteurs viennent d’abord pour voir Mona Lisa. Soit environ 20 000 par jour ! Peut-on imaginer les problèmes posés par une telle toile célèbre dans le monde entier ? Accès difficile, approche du tableau parfois impossible, difficultés de bien voir la toile à cause d’une vitre protectrice blindée et des mesures de sécurité qui visent à protéger cette toile. Jadis lapidée, volée, aspergée de liquides divers, La Joconde est devenue la vedette du Louvre. Mais on peut partager l’avis de l’historien de l’art Daniel Arasse qui exprime l’idée que l’on voit mieux La Joconde dans un livre d’art que dans la salle du Louvre où elle est exposée.
En mai 2024, dans le journal Le Monde, Michel Guerrin posait bien le problème en écrivant que le sort de La Joconde était scellé par le surtourisme.
Problème identique à Athènes où, en saison, 20 000 visiteurs par jour se pressent pour accéder à l’Acropole. Désormais, on ne pourra plus accéder à l’Acropole sans ticket.
Le Mont Saint-Michel est un haut lieu du tourisme en France : 2,5 millions de visiteurs par an. Mieux vaut réserver si l’on veut goûter à l’omelette de la mère Poulard ! En saison, la Grande Rue est-elle véritablement encore une rue ou tout bonnement un super marché ? Nous sommes, là aussi, en plein surtourisme. On évoque l’engorgement du site.
Obligation de gérer la foule qui envahit le Mont. Aménagement de parkings, mise en place de navettes pour conduire les visiteurs jusqu’au Mont. Surveillance au moment des marées hautes.
Le Mont Saint-Michel permet d’aborder un aspect très négatif du surtourisme. En effet, si l’on fait le déplacement en Normandie c’est pour, paisiblement, s’imprégner de la beauté du lieu. Merveille de l’Occident, « bijou monstrueux, grand comme une montagne, ciselé comme un camée et vaporeux comme une mousseline » écrivait Guy de Maupassant. On doit en quittant ce lieu en garder une image que l’on mémorisera jusqu’à la fin de ses jours.
Est-ce encore possible ? On peut en douter.
C’est, il y a quelques dix ou quinze années. Monsieur Jacques André qui faisait la différence entre le touriste et le badaud. Ce dernier ne voyage que pour voir, faire la photo ou tout simplement faire comme tout le monde. Cherche-t-il à comprendre ce qu’il voit ? Rien n’est moins sûr.
Ce surtourisme peut aussi prendre une forme déguisée par le biais des résidences secondaires. Le phénomène est évident au Pays Basque et sur la Côte d’Azur. Un grand nombre de citadins venus de la France entière achètent des résidences pour en faire leur résidence secondaire obligeant les autochtones à quitter le littoral pour trouver refuge à l’intérieur des terres. En 2023, le taux de résidences secondaires dans un village comme Guéthary atteignait 50,4 %.
Les locaux, les véritables locaux, nés dans le pays, ne reconnaissent plus les lieux où ils ont grandi. Pour faire simple et en reprenant les termes d’une étude : « le golf, le tennis et le surf remplacent le rugby, le foot et la pelote ».
Des exemples semblables se retrouvent partout dans le monde.
Qui n’a pas en tête ces vues de Venise où l’on voit un paquebot de croisière amarré au niveau de la Place San Marco, écrasant de ses six ou sept étages les palais environnants. Après des années de tergiversations et sans doute après avoir constaté les premiers dégâts, la municipalité vient d’interdire aux paquebots en question de s’approcher de la Cité des Doges, et, à l’avenir fera payer aux visiteurs une taxe de 5 euros.
L’été, de semblables paquebots patientent devant de minuscules ports des îles grecques. A Santorin, 8000 touristes par jour débarquent ! Et encore, ce chiffre de 8000 est la limite autorisée.
Il y a un mois à peine, la presse relatait la décision des élus d’une simple bourgade au Japon. Ce modeste village présente l’immense privilège d’offrir aux visiteurs une vue absolument imprenable sur le Mont Fuji. Ces visiteurs qui ne sont que de passage se sentent obligés d’immortaliser cette vue sur leurs selfies.
Afin de se protéger contre le comportement souvent désinvolte de ces visiteurs d’un moment, la municipalité a fait élever un rideau-palissade masquant la vue, obligeant ainsi les touristes à passer leur chemin.
Depuis, même le Journal de Saône-et-Loire du 2 juillet dernier se faisait l’écho de la toute nouvelle taxe de 11,50 euros, instaurée pour fouler le sentier Yoshido qui mène au sommet du Fuji (3776 mètres).
La presse nous fait aussi souvent partager l’exaspération des habitants de Barcelone devant les nuisances apportées par les visiteurs étrangers à leur ville. Une réaction des élus permet de mesurer le degré de cette colère : les documents remis aux touristes ne font plus état de certaines lignes de bus, comme celle qui dessert le quartier du Park Güell. Permettez-moi de vous lire la dernière phrase de l’introduction du Guide Vert Barcelone à la rubrique Gràcia et le Park Güell : « Au nord du quartier, vous rejoindrez le park Güell, l’un des chefs-d’œuvre d’Antoni Gaudi, architecte catalan de la célèbre Sagrada Familia, emblème de Barcelone. Bain de foule garanti ! ». Même le Guide Vert met en garde contre le surtourisme.
En cachant aux touristes l’existence d’une ligne spécifique de bus, la municipalité a ainsi, tenté d’apaiser l’irritation des habitants qui en définitive ne se sentent plus chez eux, dans leur ville, au point de ne plus se sentir libres de prendre leur bus quand ils le veulent…à cause des touristes en trop grand nombre.
Partons en montagne, en Suisse dans l’Oberland bernois, à Lauterbrunnen et la Cascade du Staubbach (chute de 300m). Byron compare cette cascade « à la queue du cheval pâle que monte la Mort dans l’Apocalypse ». Précisons que l’accès à la petite ville de Wengen** ne se fait que par train et donc les visiteurs sont obligés de laisser leur voiture à Lauterbrunnen. Ajoutons que le site de Wengen est classé *** dominé par le profil enneigé a nul autre pareil de la Jungfraujoch (3475m).
Exemple où le train vient atténuer les effets du surtourisme.
Une affluence exagérée de touristes a bien failli altérer la beauté d’un site comme celui des Calanques au sud-est de Marseille. L’accès aux Calanques vient enfin d’être réglementé. Satisfaction pour ce qui est de la protection de l’environnement mais fin des circuits improvisés à la dernière minute durant les congés.
L’accès à l’île de Bréhat, petit paradis breton, vient lui aussi d’être réglementé.
Vous êtes conscients que des exemples similaires pourraient être trouvés dans toutes les régions, tous les pays d’Europe et du Monde.
Que dire de Pérouges pour lequel un guide anglais (Cadogan Guide) nous met en garde. Pérouges, often swamped by flocks of tourists 🠖 Noyé par des troupeaux de touristes.
Que dire de Lascaux où, fort heureusement il y a déjà de nombreuses années, les autorités responsables ont édifié une grotte Lascaux II, fidèle reproduction de la grotte initiale qui ainsi, conserve toute sa fraîcheur à l’écart des flots de touristes qui auraient dégradé, année après année, ce témoin unique de l’art préhistorique européen : véritable « chapelle Sixtine » de la Préhistoire selon l’abbé Breuil, « Pape » de la Préhistoire.
IV.- Peut-on atténuer les effets du surtourisme ?
On l’a vu, la nécessité de voyager, de découvrir, de voir du neuf, de se distraire, de se changer les idées est, aujourd’hui, inhérent au monde du travail. Ce besoin s’est développé et amplifié tout au long du XXe siècle. Il continue de progresser au XXIe siècle. L’abaissement de l’âge du départ en retraite, la réduction du temps hebdomadaire du travail, l’augmentation de la durée des congés payés…s’ajoutent à l’allongement de la durée de vie. Le temps libre de chacun s’accroît.
Ce temps libre est parfois consacré à la découverte de sites (monuments ou sites naturels) et certains sont plus fréquentés que d’autres et de ce fait sont menacés tout comme leur environnement direct. La rapidité des moyens de transport vous permet d’aller vous dépayser dans la Baie d’Along au Vietnam, comme en Indonésie, comme au Mont St Michel…
1/ Effets indésirables sur l’environnement
On l’a vu, certains sites drainent des centaines de milliers de touristes sur leur commune. Dès lors, l’Etat, la ville, le village, le département ou la région doivent faire face : - Aux problèmes d’accès
- A l’aménagement de parkings
- L’installation de toilettes
- Le fleurissement de l’ensemble
- L’ouverture d’un Office de Tourisme
- Veiller à la propreté des lieux (négligence des visiteurs qui en montagne, sur les bords de mer ou en campagne jettent leurs plastiques là où ils se trouvent sans aucun souci pour l’environnement)
- Il faut faire vivre le site, etc.
- Citons encore l’exemple de Carnac où il fallut interdire d’approcher les mégalithes tant le nombre de visiteurs les déséquilibrait.
Tout cela coûte cher et beaucoup, habitants du village ou près du site, pensent qu’ils paient trop d’impôts locaux.
En matière d’effets indésirables, notons le comportement plus que désinvolte de certains, dès lors qu’ils ne sont plus chez eux. Le 22 juin dernier, sur leur yacht non loin de la côte de la magnifique petite île grecque d’Hydra, des touristes tirent des feux d’artifice, causant l’incendie de la seule forêt de pins. Le sociologue du tourisme, Jean Didier Urbain parle de « l’idiot du voyage ».
2/ A qui profite la venue de ces touristes ?
Au site lui-même, mais aussi :
Aux restaurateurs, hôteliers, loueurs de vélos, skis, canoës…
Aux chambres d’hôtes, gîtes
Aux marchands de souvenirs
Aux autocaristes, agences de voyages, guides
Indirectement, aux fournisseurs locaux de produits alimentaires
Les habitants sont moins concernés et pire, dans certains cas, leur habitation personnelle peut perdre de la valeur.
3/ Plus grave
Très vite, cette arrivée massive de touristes engendre des risques d’incendies dans les zones boisées (Bretagne, Landes en 2023).
Problèmes d’eau lorsque les nappes phréatiques sont trop basses (Pyrénées Orientales 2023).
Enlèvement des déchets dont les plastiques, laissés sur place par des visiteurs sans scrupules.
En fait, s’il fallait résumer en une phrase les dangers auxquels s’exposent les grands sites touchés par le surtourisme, nous pourrions dire que ce sont des sites piétinés. Des dizaines de milliers de personnes qui piétinent à longueur de journées les mêmes chemins à travers des sites fragiles : voilà un risque majeur pour notre patrimoine.
Ces inconvénients majeurs entraînent des restrictions dans les déplacements. Les visites sont souvent programmées à l’avance pour être mieux encadrées.
CONCLUSION
Oui, notre manière d’imaginer le tourisme change, en accord avec notre attitude face au travail.
Nous venons de le voir en analysant la manière dont, au travail, la fatigue a cédé le pas au stress, engendrant une manière très différente de concevoir nos temps de repos, nos vacances.
Aujourd’hui encore à bien observer la vie de nos enfants, rien ne prouve qu’ils soient plus décontractés que leurs aînés face au travail et au temps de détente. Le travail à domicile, cette recherche pour beaucoup, de promotion en changeant très souvent d’employeur sont et seront sources de stress.
Les congés continueront d’être morcelés. Certaines destinations, habilement vendues par les professionnels du tourisme attireront plus que d’autres et alimenteront ce que nous nommons le surtourisme. L’argent, la mondialisation amplifieront ce phénomène de surtourisme.
Déjà en 1963, le Suisse Nicolas Bouvier (1929-1998) écrivait : On croit qu’on va faire un voyage mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. Oui, dès maintenant certains voyages peuvent nous défaire, nous placer dans des situations insupportables.
Suivez, dans la presse, cette évolution du surtourisme. Curieusement, son éventuelle progression vous en dira long sur l’attitude des gens face au travail….et accessoirement sur leur niveau d’éducation.
Le surtourisme doit rester limité à quelques sites qui sauront mettre en place les équipements nécessaires pour canaliser les flux de touristes (Pont du Gard, Pont d’Arc).
A défaut, ce surtourisme aura des effets dévastateurs sur l’environnement et sur les personnes qui pensaient, à tort ou à raison, trouver réconfort, repos et distraction en répondant aux appels des sites en question.
Jean-Michel Dulin
Sociétés d’Etudes Mâconnaises
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